Chapitre
13
Noël à Poudlard
Le lendemain, l’école était quasiment déserte. Les couloirs vides paraissaient bien sombres et silencieux, avec les portes des classes fermées et verrouillées. Tandis que James descendait jusqu’à la Grande Salle pour déjeuner, il vit Cédric Diggory au bout d’un couloir. Le fantôme semblait en grande conversation avec la Dame Grise. Quand les deux spectres flottèrent lentement pour s’éloigner, James décida de ne pas les déranger. Était-il possible que Cédric soit amoureux de la Dame Grise ? À sa façon mélancolique, elle était plutôt jolie. Question âge – humainement parlant – elle ne paraissait pas beaucoup plus vieille que lui. Bien sûr, en principe, elle avait plusieurs siècles de plus, mais peut-être que ça ne comptait plus… une fois devenu fantôme. James préféra ne pas trop réfléchir à ces détails qui devenaient bizarres. En secouant la tête, il continua son chemin.
Dans la Grande Salle, Rose était assise à la table de Serpentard avec Albus. Quand James les rejoignit, il les entendit parler de la vente du Terrier. C’était une conversation parfaitement déprimante, aussi James n’y participa pas. Un peu plus tard, il suggéra une sortie pour construire un bonhomme de neige dans la cour. Les deux autres s’empressèrent d’accepter, et les trois cousins passèrent quelques heures agréables, à rire et à piétiner la neige fraîche. Ils réussirent aussi à bâtir le plus ridicule et le plus énorme des bonhomme de neige, en utilisant leurs baguettes pour faire léviter de grosses boules de neige qu’ils auraient été incapables de soulever. James et Rose tentèrent ensuite de faire léviter Albus lui-même jusqu’à la tête de leur chef d’œuvre pour installer une carotte en guise de nez, mais ils ne réussirent pas à le maintenir dans la bonne position. Albus tourbillonna sur lui-même, jusqu’à avoir la tête en bas. Son bonnet tomba dans la neige, quatre mètres plus bas. Il agita les bras comme un oiseau maladroit.
— Ne me lâchez pas ! glapit-il.
Rose et James riaient si fort que des larmes coulaient sur leurs joues rougies par le froid.
— Mets la carotte, Al ! cria Rose, le souffle coupé. Mets-la vite. Et puis, qu’est-ce qui te prend ? Tu ne sais pas voler ?
En gigotant ses jambes, Albus réussit à se redresser.
— Je volerai si tu me donnes un balai, répondit-il, agrippé à la tête du bonhomme de neige. La prochaine fois, Rosie, c’est toi qui t’occuperas de la carotte.
En fin d’après-midi, ils rentrèrent tous les trois à l’intérieur du château alors que le soleil, bas dans le ciel hivernal, rougeoyait sur la neige. Ils quittèrent leurs manteaux mouillés, les déposèrent avec gants et bonnets, en un énorme tas au beau milieu de l’entrée avant de retourner dans la Grande Salle pour prendre un chocolat chaud et un goûter roboratif. James était heureux d’avoir passé ce moment avec sa famille – et pensé à autre chose. Il avait sciemment évité de parler de Merlin, ou de la mystérieuse disparition de la cape d’invisibilité et de la Carte du Maraudeur.
Rose serrait entre ses mains son bol de chocolat bouillant.
— Nous devrions recommencer, dit-elle, les joues toutes rouges. C’est marrant d’avoir le château rien que pour nous. L’an prochain, nous dirons aussi à Hugo, Lucy et aux autres de rester avec nous.
— Même Louis ? s’enquit Albus, avec un sourire moqueur.
— Je suppose que lui aussi pourrait rester, dit Rose, se sentant magnanime, à condition qu’il ne parle pas.
— Dans ce cas, il ne voudra probablement pas rester, intervint James. Tu sais, il est retourné chez lui avec Victoire. D’accord, elle voulait voir Ted, mais Louis s’est simplement rajouté.
— Ils vont passer leurs vacances au Terrier ? demanda Rose. À tout emballer ?
L’air triste, Albus haussa les épaules.
— Je crois que pour l’emballage, c’est terminé, dit-il. Grand-mère Weasley s’en est chargée toute seule. C’est quand même une sorcière, ce n’est pas si difficile pour elle. Ce qui prendra du temps sera de tout partager. Aux cours des années, les grands-parents ont entassé énormément de choses. Et puis, il faut aussi s’occuper de la goule.
— Qui va la récupérer ? demanda Rose, le nez plissé de dégoût. J’espère que mes parents n’ont pas l’intention de l’installer dans nos combles !
James posa son bol vide avant de répondre :
— Mais si, bien sûr ! En fait, je suis même certain que tes parents installeront cette pauvre bestiole dans ta chambre. Tu n’en as pas besoin pendant que tu es à l’école. D’ailleurs, je trouve que cette goule ressemble un peu à oncle Ron quand il était jeune. Peut-être tes parents l’aimeront-ils plus que toi.
Rose leva les yeux au ciel.
— Il faudra que tu fasses mieux que ça pour m’asticoter, James Potter.
— J’imagine bien la goule dans ta chambre dit Albus avec entrain. Elle essaie peut-être déjà tes culottes en dentelles.
Cette fois, Rose faillit renverser ce qui restait de son chocolat en plongeant vers son cousin. Quand les deux frères explosèrent d’un rire bruyant, un elfe de maison, qui nettoyait la grande salle non loin de là, leur jeta un coup d’œil étonné.
— Albus, ce n’est pas un sport de combat ! Tu as failli casser ma baguette, gros balourd.
Étalé sur le plancher, James repoussa son frère de lui, et roula près de la chaise. Albus se releva d’un bond.
— Si tu faisais partie d’une équipe de Quidditch, se moqua-t-il, tu serais peut-être plus à l’aise dans une mêlée. De plus, si tu n’étais pas aussi mollasson sur tes jambes, nous jouerions encore, et j’aurais déjà gagné.
James se laissa tomber dans un siège, et se frotta énergiquement pour s’épousseter.
— Pas du tout, je gagnais ! protesta-t-il. Et c’est ça qui t’a mis en colère. Lily a raison : tu es mauvais perdant. Elle m’a dit qu’elle ne jouait jamais à Rampes & Poignées avec toi parce que, la dernière fois qu’elle a gagné, tu as jeté toutes les pièces du jeu par la fenêtre.
— Ce n’est pas vrai, grommela Albus. Elle n’a jamais réussi à me battre à ce jeu ridicule. De plus, maman a tout récupéré dans le jardin avec un simple sortilège Accio.
La salle commune était quasiment vide. James se tourna, en levant sa baguette, et demanda :
— Rose, c’est quoi le score ?
Assise dans un fauteuil, près de la cheminée, sa cousine poussa un soupir.
— Sept à zéro, répondit-elle, sans lever les yeux de son livre.
— Et qui perd ? insista James, avec un coup d’œil entendu vers son frère.
— Moi, répondit Rose. Silence, et laissez-moi lire. J’apprends quelque chose d’important, aussi je préférerais ne pas être dérangée.
Albus pointa sa baguette sur une pomme (pas mal abîmée) posée sur une chaise voisine.
— Lève simplement la cible, dit-il à James. Je vais lui rentrer dedans si fort qu’on pourra récupérer de la compote sur les murs pendant des semaines.
James éclata de rire, et les deux frères se remirent à faire léviter la pomme entre eux.
Tout à coup, James leva une main sur son front qu’un bref élancement douloureux venait de traverser. La douleur disparut presque immédiatement, mais James en fut un moment distrait, assez pour que son frère touche sa cible, pour la première fois. Quand Albus poussa un rugissement de plaisir, James secoua la tête, à la fois inquiet et troublé.
Les sourcils froncés, Rose leva les yeux et croisa le regard de son cousin. Elle tenait entre les mains un livre relié de tissu bordeaux, très ancien et usé. Sur la tranche, en lettres d’or terni, il y avait les mots : Livre des Mondes Parallèles, tome 3.
Juste avant Noël, de façon étrange, le temps sembla soudain ralentir. James, Rose et Albus passaient leurs journées à jouer à CB – cible et bâton – dans l’une ou l’autre de leurs salles communes, à se promener dans les jardins couverts de neige, ou à rendre visite à Hagrid dans sa cabane. Ils prenaient leurs repas avec quelques professeurs et les rares autres élèves qui restaient, dont Fiera Hutte, Hugo Paulson, et (à la grande surprise de James) Joséphine Barnett. Ses crises de vertige s’arrangeaient un peu : elle pouvait s’asseoir sur son banc, à la table de Serdaigle, mais si elle faisait tomber un morceau de pain ou sa fourchette, elle était incapable de se pencher pour les ramasser. James se sentit désolé pour elle, mais il la vit ensuite hurler comme une harpie en réclamant à un elfe de maison de lui ramener une autre fourchette, aussi il décida que son arrogance naturelle n’avait pas été tellement affectée par le sortilège.
Le matin de Noël, James eut une violente surprise. Il se réveilla à l’odeur de harengs frais et une voix profonde – qui évoquait un crapaud – marmonnait à son oreille :
— Joyeux Noël, maître James ! Ah-là-là, le voilà, couché comme une pierre, sans bouger, alors que Kreattur doit travailler dur pour que son petit déjeuner reste bien chaud. Mais bien sûr, la magie d’un elfe de maison ne compte pas. Alors Kreattur attend, jusqu’à ce que le jeune maître soit prêt à manger. Kreattur connaît tous les sortilèges de Réchauffement pour la cuisine…
James se frotta les yeux, et s’assit dans son lit. Un plateau de petit déjeuner magnifiquement préparé était posé sur ses jambes. Dans un petit vase en albâtre, émergeaient une rose noire et une canne de sucre d’orge.
— Kreattur ? bredouilla-t-il. Qu’est-ce que tu fais là ?
Kreattur s’inclina très bas. Planté au bout du lit, il ne portait que sa serviette de table, malgré le froid de la pièce.
— La chère maman du jeune maître m’envoie, répondit-il. J’ai déjà servi le petit déjeuner de Noël à maître Albus et à la jeune maîtresse Rose. Il y a aussi des cadeaux qui attendent.
— James ! hurla la voix d’Albus en bas des escaliers. Viens ici ! Kreattur ne veut pas nous laisser ouvrir les paquets avant que nous soyons tous les trois. Il dit que ce sont les ordres de maman, bien sûr. Alors avale vite, et descends.
James grignota quelques harengs, but son jus de citrouille, remercia Kreattur, puis bondit hors du lit. Dans la salle commune, il trouva Rose et Albus déjà installés devant le feu. Une tasse de thé à la main, les deux cousins portaient d’immenses chapeaux verts ornés de petites clochettes. Avec un grand sourire, Rose secoua la tête pour faire davantage de bruit.
— C’est marrant, hein ? C’est ma mère qui les a envoyés. Elle doit savoir que nous n’avons pas décoré la pièce pour Noël. Mets ton chapeau.
Elle en jeta un à James. Avec une grimace comique, il l’enfila. Derrière lui, Kreattur arrivait au bas des escaliers, d’un pas lent. Lui aussi avait mis un des chapeaux, mais il le portait comme si le feutre faisait 50 kg. Le bord lui couvrait les yeux. L’elfe le repoussa d’un pouce, et jeta un coup d’œil aux trois cousins.
— Un, deux, trois… Ils sont tous là, marmonna-t-il. Joyeux Noël, jeune maîtres et maîtresse.
Quand Kreattur claqua des doigts, il y eut un léger changement dans la luminosité de la chambre. James réalisa qu’une sorte de sortilège de Protection venait d’être enlevé du tas de cadeaux. Albus poussa un hurlement, bondit hors du canapé, et prit le plus gros des paquets qui portaient son nom. Avec un grand sourire heureux, James s’approcha aussi.
Kreattur resta avec eux jusqu’à ce que tous les cadeaux aient été ouverts, puis, il récupéra avec soin papiers déchirés et rubans arrachés. Il roula le tout ensemble, le serrant en une balle colorée et très dense qu’il réussit étrangement à caser dans son chapeau vert à clochettes. Quand il remit le chapeau sur sa tête, Rose eut du mal à étouffer son fou-rire.
— Vos parents ont demandé à Kreattur de vous informer qu’ils vous parleraient ce soir dans la cheminée, gazouilla l’elfe. Maintenant, Kreattur va vous dire au-revoir, jeunes maîtres et maîtresses. Passez de bonnes vacances.
— Toi aussi, Kreattur, répondit Rose la bouche pleine.
Elle mordait à pleines dents dans une sorcière en pain d’épices.
— Merci, répondit l’elfe.
Il écarta ses bras maigrelets, puis claqua des doigts. Avec un « pop » sonore, il disparut, ne laissant derrière lui qu’une fumée verte.
— J’ai toujours bien aimé cet elfe, proclama Albus. Il reste très pro. Et il va droit au but.
— Moi, je suis désolée pour lui, dit Rose. Qu’est-ce qu’il recevra à Noël ?
— Oh, Rose, tu es bien comme ta mère ! s’écria James. Il y a deux ans, mes parents ont voulu donner à Kreattur un cadeau de Noël. Ce n’était qu’un petit panier avec un oreiller, pour qu’il puisse dormir dedans. Ils l’avaient acheté dans un magasin animalier moldu, parce que cette andouille de Kreattur refuse de dormir dans un vrai lit. Mais Kreattur n’a pas voulu non plus de son cadeau. Mes parents ont insisté, et c’est devenu un ordre, aussi Kreattur a gardé son panier. Bien sûr, il s’en sert pour transporter le linge sale.
— Franchement, Rose, dit Albus, nous essayons, surtout papa. Je ne sais pas ce qui s’est passé entre lui et Kreattur, mais ils ont des souvenirs communs. Kreattur n’est pas fait pour être heureux.
— Je sais, dit Rose, mais il me fait parfois de la peine.
— Ah ! ricana James. Kreattur mène actuellement une vie de rêve. J’ai entendu dire qu’il était bien pire quand papa l’a connu. Il a un jour envoyé à mon père un mégot comme cadeau de Noël.
— Ce n’est pas vrai ! s’exclama Rose, horrifiée.
Albus sortit de l’une de ses boîtes une écharpe tricotée à la main, aux couleurs vert et argent. Il la passa autour de son cou.
— Si, Rosie, je le confirme. C’est ce que papa nous a dit. Donc, j’en déduis que Kreattur est heureux. Après tout, nous n’avons pas eu de sangsues pour le petit déjeuner. Je préfère les harengs.
L’après-midi même, Albus emmena Rose et James au sous-sol, dans la salle commune de Serpentard, pour leur montrer la salle d’entraînement aux sortilèges. Comme Albus l’avait décrite, la pièce était très longue, basse sous plafond, avec des mannequins alignés contre le mur du fond. Pour démontrer le fonctionnement de la salle, Albus brandit sa baguette et envoya un Maléfice Cuisant à l’un des automates. Levant ses bras de bois, le mannequin réagit en se tordant pour simuler la douleur, comme s’il avait réellement senti le sortilège. Avec un rire sonore, Albus recommença. James esquissa un sourire, mais il se sentait mal à l’aise. Quant à Rose, elle ne riait pas du tout. Les bras croisés, elle regarda sévèrement son cousin.
Le repas de Noël se passa dans la Grande Salle. Bien que la pièce soit à peine remplie d’un cinquième, le menu était somptueux. Les professeurs Knossus Shert et Lucia Hallondonk – qui enseignait les potions et était également responsable de la maison Serpentard – étaient assis sur l’estrade. Installé entre eux, Hagrid parlait bruyamment. Le contraste était étonnant entre les deux minces sorciers et le demi-géant. De toute évidence, Hallondonk n’appréciait pas Hagrid, à qui elle jetait des regards dégoûtés, cachés derrière un sourire de façade. En arrivant, James fut surpris de voir Petra Morganstern assise à la table Gryffondor. La jeune sorcière sourit quand Hagrid se lança dans une interprétation fantaisiste de chants de Noël, cherchant à entraîner les autres professeurs.
James s’assit en face de Petra.
— Je ne savais pas que tu restais pour Noël, dit-il.
— Oui, s’étonna Rose, on ne t’a pas encore vue. Où étais-tu ?
— Je suis allée passer quelques jours à Pré-au-lard pour y faire quelques achats, répondit Petra. Je n’ai pas eu envie de rester à l’école toutes les vacances, à me morfondre.
— Pourquoi n’es-tu pas rentrée chez toi pour Noël ? demanda Rose.
Un léger sourire aux lèvres, Petra regardait toujours les professeurs qui refusaient de chanter, malgré les efforts de Hagrid.
— Pourquoi le ferais-je ? J’ai déjà reçu mon cadeau.
— Quoi ? s’étonna James, les sourcils levés. Oh, cette boîte que tu as reçue le mois dernier par un hibou du ministère ? Nous nous demandions tous ce que c’était. Ça vient de ton père ?
Petra hocha la tête, et but une gorgée de sa Bièraubeurre.
— Mrs Rosmerta nous a envoyé ce soir des Bièraubeurre des Trois Balais, dit-elle. Le saviez-vous ? Je lui ai parlé hier.
— Qu’as-tu reçu pour Noël ? insista Albus. Moi j’ai eu une nouvelle écharpe, des bonbons, et un Rapeltout. Franchement, maman aurait dû donner le Rapeltout à James, pour qu’il se rappelle des dates d’essais de Quidditch.
Albus adressa à son frère un sourire moqueur. Petra se tourna alors vers lui.
— Ce n’était qu’un ancien souvenir, répondit-elle. C’est sans importance, sauf pour moi.
— Alors pourquoi t’es-tu sauvée pour l’ouvrir toute seule ? demanda encore Albus.
Sous la table, Rose envoya à son cousin un coup de pied, mais Petra se contenta de hausser les épaules.
— Parfois, dans une école bondée, c’est agréable de se retrouver seule, tu ne crois pas ? Et puis, j’ai besoin de temps pour apprendre mon texte. James, ça te dirait qu’on le récite ensemble ? Si on a tout appris au retour des vacances, je pense que le professeur Curry nous mettra sur son testament.
— Bien sûr ! s’exclama James, un peu trop enthousiaste. (Il se reprit, et ajouta plus calmement :) Euh… c’est une bonne idée, je crois. Si ça te dit. D’ailleurs, je n’ai rien de prévu.
— Tu n’as « rien de prévu » ? se moqua Albus. Tu es sûr ? Pas d’entretien avec le ministre de la magie que tu aurais encore oubl… Ouille ! Rose, arrête de me shooter les tibias sous la table !
Petra le regarda avec un gentil sourire, avant de se tourner vers James.
— Je te reverrai tout à l’heure dans la salle commune, James. Amène ton manuscrit, et nous le lirons ensemble, d’accord ?
James acquiesça de la tête, préférant ne pas ouvrir la bouche. Peu après, Petra quitta la table, et s’éloigna, d’un air songeur.
— James est amoureux de sa princesse, ricana Albus, avant de faire des petits bruits de baisers mouillés.
— Je ne suis pas amoureux d’elle, sombre andouille, grommela James, comme si c’était la chose la plus ridicule qu’il ait jamais entendue.
— Oh, James, tu ne trompes personne, dit Rose en secouant la tête. Tu es amoureux, c’est évident. Mais je trouve ça super mignon.
James piqua un fard.
— Ça suffit ! Arrêtez de dire n’importe quoi ! Je dois faire semblant d’être amoureux d’elle dans la pièce, mais c’est tout. En fait, je dois être un très bon acteur.
Rose chercha à étouffer son sourire.
— D’accord, tu rentres vraiment dans ton rôle alors. Je ne savais pas que tu étais à ce point dédié au théâtre. Heureusement que ton rôle ne prévoit pas de tuer quelqu’un.
James leva les yeux, et prit un air tragique.
— Vous êtes complètement idiots. D’ailleurs, pensez ce que vous voulez, je m’en fiche.
Albus étudia son frère un moment, puis il recommença à faire des petits bruits de baisers.
— Oh, Petra ! s’écria-t-il avec passion. Je ne suis qu’un petit garçon, mais près de toi, je me sens un homme.
Furieux, James attrapa un petit pain qu’il lui jeta sur la tête. Albus éclata de rire.
Un peu après, quand James retourna dans la salle commune, il laissa Rose et Albus chanter des chansons de Noël avec Hagrid dans la Grande Salle. Il fut à la fois heureux et un peu troublé de retrouver Petra assise près du feu, son manuscrit à la main. Il courut jusqu’au dortoir pour chercher dans sa sacoche sa propre copie de la pièce, puis dévala les escaliers. Tout le long, il se répéta de ne pas faire l’idiot. Rose et Albus devaient se tromper, il n’était pas amoureux de Petra. Et même si c’était le cas, jamais la jeune sorcière ne lui rendrait ses sentiments. Elle avait presque cinq ans de plus que lui, et était d’une intelligence et d’une beauté remarquables. Les filles comme Petra ne tombaient pas amoureux de garçons plus jeunes, trop maigres, même pas encore capables de réussir un Charme Anti-Acné. Quand James rejoignit Petra, il était tout rouge de gêne. Il se laissa tomber sur le plus proche canapé.
— Hélas, mon cher Travis, récita Petra, en lisant son manuscrit, te revoir me fait battre le cœur. (Sur un ton normal, elle ajouta :) Tu crois qu’on devrait recommencer au début ?
James voulut répondre, mais sa voix dérailla. Il s’éclaircit la gorge.
— Euh… oui, bien sûr. Je peux lire aussi le texte des autres, s’ils doivent intervenir quand tu parles, et tu feras la même chose pour moi.
— Je me voie très bien jouer Donovan, dit Petra. J’avais même pensé à postuler pour le rôle.
— Ouais, mais j’imagine mal Noah en Astra, admit James avec un sourire.
— Tu sais, dit Petra, il y a un siècle, les hommes jouaient régulièrement les rôles féminins au théâtre. Il était interdit à une femme de monter sur scène sans déchoir. Aussi, je trouve qu’il est normal qu’on leur rende la pareille. Et puis, ça doit être drôle de jouer le rôle d’un vaurien au pouvoir magique puissant. Pourquoi les femmes ont-elles toujours des rôles inintéressants ? Astra n’est qu’une cruche.
Le cœur battant, James la regarda. Il trouvait Petra la plus jolie cruche qu’il ait jamais vue, mais il préféra ne pas le dire. À nouveau, il se racla la gorge, et se mit à lire.
Deux heures après, quand les deux élèves terminèrent leur répétition, James remarqua les autres autour d’eux. Albus et Rose étaient remontés dans la salle commune, et assis à une table du fond. Hugo Paulson apprenait à Albus les règles basiques du CB – cible et bâton. James vit sa cousine lui jeter un coup d’œil attendri.
— Hey, James ! s’écria Albus en rangeant sa baguette. Tu te rappelles que les parents doivent nous parler ce soir dans la cheminée ? Tu viens, ou je leur dis que tu as d’autres obligations prévues ?
Quand James jeta à son frère un œil noir, Albus se contenta de sourire.
— C’est bon, James, dit Petra. (Avec un soupir, elle referma son manuscrit.) Je crois que nous avons assez travaillé ce soir. Je vais remonter dans mon dortoir, et écrire quelques lettres de Noël. Merci d’avoir répété avec moi.
— C’était marrant, dit James. À bientôt, Petra.
James regarda la jeune sorcière s’éloigner en direction de l’escalier. Puis Rose vint s’asseoir à ses côtés sur le canapé.
— Fais très attention, James.
Elle parlait d’une voix si basse que James l’entendit à peine.
— Quoi ? Qu’est-ce que tu dis ?
— Je dis que Petra ne peut pas ressentir pour toi ce que tu ressens pour elle.
— Je ne sais même pas de quoi tu parles. (James se détourna, et referma son manuscrit.) Nous ne faisions que répéter.
— Ce n’est pas seulement la différence d’âge, tu sais. Après tout, en vieillissant, quelques années ne comptent pas tellement. Mais il faut que tu saches que le cœur de Petra est ailleurs.
Le front plissé, James regarda Rose.
— Qu’est-ce que ça veut dire ?
— C’est évident, James, chuchota Rose. Petra n’est pas allée à Pré-au-lard pour faire les courses, comme elle nous l’a dit. Elle espérait juste revoir Ted avant qu’il n’aille passer Noël au Terrier.
— Pourquoi ? demanda James, en clignant des yeux.
Rose secoua la tête, et le regarda avec pitié.
— Parce qu’elle l’aime toujours, sombre idiot. Elle a eu le cœur brisé quand Ted l’a quittée pour Victoire.
— Mais non, répondit James, en fronçant les sourcils. D’après Noah, ce n’était pas sérieux entre eux. Il affirme que Petra savait depuis le début que Ted n’était pas celui qu’il lui fallait.
— C’est peut-être ce qu’elle se dit, mais son cœur n’écoute pas – de toute évidence. Petra aime Ted. Ça se voit. Et je ne voudrais pas que tu lui dises quelque chose qui détruise votre amitié. Je ne voudrais pas que tu sois triste.
James s’effondra dans le canapé.
— Mais tu me prends pour qui, Rose ? Un parfait crétin ? Même si ce que tu dis est vrai, je n’en parlerai jamais à Petra.
— James, je suis désolée. C’est vraiment très dur d’aimer quelqu’un qui ne vous le rend pas. Ça peut détruire complètement une vie, pas vrai ? Un cœur se brise d’espérer en vain…
— Ah-ah, répondit James, mécontent. C’est ce que dit Travis dans l’acte II. Tu es très drôle, vraiment !
Tout à coup, Albus bondit et quitta son siège pour se ruer vers la cheminée. Le visage d’Harry Potter souriait dans les braises de l’âtre.
— Regardez ! cria Albus aux deux autres. Hey, papa ! Joyeux Noël !
— Joyeux Noël à toi aussi, mon fils.
Hermione se mit à genoux devant le canapé, penchée vers la cheminée.
— Coucou, oncle Harry, dit-elle d’une voix flûtée. Comment ça va au Terrier ?
Harry donna l’impression de hausser les épaules.
— Aussi bien que possible, je présume. Bien sûr, nous aurions tous préféré avoir des vacances différentes, mais ça s’est bien passé aujourd’hui. Lily est chez Andromeda Tonks. Ici, tout le monde vous embrasse. D’après Kreattur, vous êtes tous en pleine forme. Avez-vous aimé vos cadeaux ?
— J’ai adoré l’écharpe, répondit Albus. Et le Rapeltout. Et aussi les bonbons.
— Tu n’as quand même pas déjà tout mangé, Al ?
— Si, mais ne le dis pas à maman. Tu sais, papa, je grandis. J’ai besoin de muscles pour jouer au Quidditch.
Albus et Harry passèrent quelques minutes à discuter de la saison de Quidditch. Harry félicita son fils d’avoir été admis dans l’équipe de Serpentard comme attrapeur, mais il appréciait quand même que Gryffondor soit – pour le moment – en tête du tournoi.
— Il y a derrière moi des impatients qui veulent aussi vous dire bonjour, dit Harry. Hermione, arrête de pousser.
Le visage d’Harry disparut dans les braises, et fut remplacé quelques secondes après par les traits distinctifs d’Hermione et ses cheveux bouclés.
— Joyeux Noël, Rosie ! s’écria-t-elle. Joyeux Noël, les garçons. Comment allez-vous ?
— Pas mal, répondit James. Pour le moment, l’année a été complètement folle. Il se passe plein de choses.
Rose adressa à sa mère un grand sourire.
— James a raison. Nous avons des tas de choses à vous raconter. Durant la première semaine, Merlin nous a fait faire 100 km dans les bois, pour ramener une boîte magique, et…
— Attends un moment, Rosie, coupa sa mère. Ron, je t’ai demandé une minute. Et tu veux vraiment manger encore un gâteau ? Je ne sais pas combien tu en as déjà englouti.
Le visage d’Hermione disparut, et le sourire béat de Ron se montra peu après.
— Hey, Rosie, dit-il. J’espère que tes deux cousins s’occupent bien de toi. Parce que, dans le cas contraire…
— Coucou, oncle Ron ! cria Albus avec entrain. (Ron était son oncle préféré.) Je suis à Serpentard !
— Bonjour, papa, dit Rose toute heureuse. Comment va Hugo ?
— Ici, tout le monde va bien, compte tenu de la situation, dit Ron, dont le sourire avait disparu. Ted et Charlie se sont disputés au sujet de quelque chose que Victoire a dit, mais personne n’a bien compris ce que c’était. George a bu trop de whisky-de-feu, il est tombé sur la goule dans les combles, et s’est cassé le petit doigt sur une malle qui traînait. Quant à grand-mère, soit elle crie sur tout le monde, soit elle pleure. Pas à dire, c’est un chouette Noël ! Au fait, en y réfléchissant, y aurait-il un lit pour moi à Poudlard ? Je préférerais passer des vacances avec toi chez les Serpentard, Al.
— Génial ! s’exclama Albus avec entrain. Prends la poudre de cheminette. Je te donnerai le lit de Ralph.
Derrière Ron, on entendit la voix de tante Fleur :
— Ron Weasley, il n’est pas question que tu ailles où que ce soit !
— C’était une plaisanterie, Fleur. Sacré nom d’un chien.
Le visage de Ron s’effaça dans les braises. Il sembla y avoir une sorte de remue-ménage, puis Ginny apparut avec un grand sourire.
— Bonjour, les garçons ! Bonjour, Rose ! Joyeux Noël à tous !
— Qu’est-ce qui se passe derrière toi, maman ? demanda Albus. Il y a de drôles de bruits.
— Vous avez de la chance de ne pas être là, dit Ginny avec un soupir. Ces vacances de Noël ne sont pas très agréables. Heureusement, tout est maintenant emballé, et prêt à partir. Nous avons gardé les lits pour pouvoir passer une dernière nuit, mais demain matin, nous les emmènerons aussi. Vous vous débrouillez, tous les trois ?
Une fois encore, James, Albus et Rose affirmèrent que tout allait bien. Puis Rose demanda :
— Alors, c’est comment ? Je ne peux pas supporter l’idée que le Terrier soit vide. Et grand-mère, que va-t-elle faire ?
— Pour le moment, ça va, répondit Ginny, qui n’en paraissait pas très convaincue. Bien sûr, c’est triste. Nous avons tous passé toute notre vie au Terrier, mais vraiment, il vaut mieux s’en séparer maintenant. Et tout le monde le sait. Votre grand-mère va venir vivre un moment avec nous, pour réfléchir à ce qu’elle fera ensuite. Nous avons beaucoup de chambres libres, puisque vous n’êtes plus là. (Elle regardait ses deux fils.) Mais quand même… C’est votre père qui a tout emballé dans le garage de papa. Je ne pouvais pas supporter l’idée d’y aller. Harry s’est chargé de tout, et je… je suis très fière de lui.
Ginny s’arrêta. Elle renifla, et baissa les yeux un moment. Ensuite, avec une expression différente, elle regarda Albus.
— Comment ça se passe chez Serpentard, Al ? Ils sont gentils avec toi ? Est-ce que tu manges bien ?
Albus éclata de rire.
— Maman, nous mangeons tous ensemble dans la Grande Salle. Et tu le sais. Il n’y a pas de salle à manger secrète dans les douves de Serpentard.
— Eh bien, je ne suis jamais entrée dans leur salle commune. Je ne savais même pas qu’ils avaient une salle spéciale d’entraînement pour les sortilèges. Mais chéri, je veux savoir, sont-ils gentils avec toi ?
— Bien sûr, maman, répondit Albus avec un sourire. Je suis très bien là-bas.
— Et toi, James ? demanda Ginny en se tournant vers son fils aîné.
— Ça va, répondit rapidement James sans regarder sa mère. Au fait, j’ai reçu ta Beuglante… si on peut dire.
— Je suis désolée, James, dit Ginny. J’étais très en colère quand je te l’ai envoyée. Il ne s’agissait pas uniquement de la cape et de la carte qui manquaient. Je l’ai réalisé ensuite. Mais depuis la mort de papa, tout a été difficile. Tu sais, le stress n’arrange rien. Ce n’était pas le bon moment de recommencer une bêtise pareille.
— Mais je n’ai rien pris, maman ! s’écria James, soudain désespéré que sa mère le croie. Je pensais que c’était Albus, mais lui non plus n’a rien fait.
Ginny étudia un moment le visage de James.
— C’est étrange, dit-elle enfin. Si vous ne les avez prises ni l’un ni l’autre, où sont-elles ?
— Et comment je le saurais ? répondit James, un peu détendu. Peut-être que c’est Kreattur qui les a cachées ? C’est ce qu’il faisait autrefois avec les l’affaires de la vieille Mrs Black quand il voulait les protéger, non ? As-tu vérifié dans son placard ?
Ginny poussa un soupir fatigué.
— Non. En fait, je n’y ai même pas pensé. J’espère que tu as raison, James. Tu es bien certain que tu me dis la vérité ?
— Oui, maman. Je te le promets. Je n’ai touché à rien cette année.
— Et toi, Albus ? Tu ne sais rien à ce sujet ?
Albus haussa les épaules.
— J’ai entendu parler de la cape et de la carte quand James a reçu la Beuglante, l’autre jour au petit-déjeuner. Puis James m’a sauté dessus au dernier match de Quidditch en m’accusant de les avoir prises exprès pour que ça lui retombe dessus. C’est tout ce que je sais, maman.
Ginny secoua la tête.
— D’accord, je présume qu’elles réapparaîtront un jour ou l’autre. Je poserai quand même la question à Kreattur. Peut-être a-t-il aussi pris ta poupée vaudou, James. Peut-être a-t-il rajouté tout ça dans sa petite collection.
— Ma poupée vaudou ? s’étonna James.
L’attention de Ginny était distraite par quelque chose qui se passait derrière elle dans le Terrier.
— Oui, dit-elle. Tu sais, cette petite image de toi que tu m’as donnée l’an passé ? Elle a disparu, en même temps que la cape et la carte, mais j’ai pensé d’abord l’avoir mise ailleurs. Je ne me suis pas inquiétée. Et je n’ai pas pensé à toi. Pourquoi aurais-tu emporté ça à l’école avec toi ?
Rose se tourna pour regarder James, les sourcils levés, l’air inquiet.
— Au fait, James, reprit Ginny comme si ça lui revenait, as-tu récemment parlé à Zane ?
De nombreuses idées se bousculaient dans la tête de James. Surpris par cette dernière remarque de sa mère, il sursauta, et cligna des yeux.
— Quoi ? Zane ? Non, pas récemment. Pourquoi ?
— Il est apparu au Terrier, un peu plus tôt dans la journée. En fait, quand je dis « apparu », il s’est matérialisé de nulle part. Nous avons dû lui envoyer sans arrêt des Maléfices Cuisants pour qu’il reste visible. Les Américains ont d’étranges façons de communiquer, tu ne trouves pas ? Bon, il pensait que tu devais être là avec Rose. Il a dit qu’il devait absolument vous parler. Il m’a demandé de vous prévenir qu’il reviendrait très vite.
— D’accord, dit James en hochant la tête. Merci maman.
— Bon, je vais devoir y aller, dit Ginny. Votre grand-mère vous embrasse et vous souhaite un joyeux Noël. Elle aimerait bavarder, mais nous avons déjà enlevé le tapis devant la cheminée, et la pierre de l’âtre est trop dure pour ses genoux. Faites bien attention à vous. Rose, vérifie que de temps en temps qu’ils mangent quelque chose de vert. Et n’oubliez pas de faire votre travail !
— Oui maman, répondirent les deux frères avec un bel ensemble.
Ginny eut un sourire ému.
— Je vous aime, tous les trois. Bonne nuit, et encore une fois, joyeux Noël !
Ron et Hermione firent chacun à une autre brève apparition, pour dire au revoir. Puis ce fut au tour d’Harry. Il eut un sourire fatigué.
— Faites bien attention à vous, tous les trois. J’espère que vous ne faites pas de bêtises ?
— Pas du tout, ricana Albus. On est aussi sage que toi au même âge.
— Papa, coupa James, cette fois, ce n’est pas moi qui ai pris ta cape et ta carte.
— Je sais, James. Ta mère me l’a déjà dit. Et je te crois.
— Mais alors, qui les a ?
— Laisse-moi m’en occuper, dit Harry avec un sourire. Je te signale que je dirige le Bureau des Aurors. Franchement, quel genre d’Auror serais-je si je laissais quelque chose comme ma cape d’invisibilité disparaître de chez moi ? Si tu ne les as pas, elles sont probablement tombées sous le lit à la maison, ou au fond de la malle. Elles réapparaîtront.
— Mais papa, dit James, en baissant la voix, et ma poupée vaudou – celle que m’a rendue le professeur Jackson l’an passé ? Elle me représente, et maman dit qu’elle a disparu aussi.
Harry comprit l’inquiétude de James.
— Pour un sorcier, ces choses-là ne marchent pas comme on le voit dans les films moldus, mon fils. Tout ira bien. Ta mère adore cette poupée vaudou, elle la caressait tous les soirs.
— Je sais, dit James, avec un sourire. Je l’ai senti.
Le sourire d’Harry s’agrandit.
— Ne t’inquiète pas, James. Elle réapparaîtra. C’est ce que font toujours les choses, même quand on croit les avoir perdues. C’est la vie.
— Merci papa, dit James avec un hochement de tête.
— Maintenant, allez dormir, dit Harry. Bonne nuit à vous tous. Joyeux Noël.
— Toi aussi, répondit Rose. Embrasse tout le monde. Et fais un gros bisou à Lily quand tu la reverras.
— Je n’oublierai pas, Rose.
Après un dernier regard à ses deux fils, Harry disparut. Les braises de l’âtre reprirent leur flamboiement rougeâtre.
— On a eu raison de rester ici, dit Albus en se redressant. Je me demande ce que deviendront les affaires de grand-père. Et sa voiture volante…
James poussa un soupir.
— Quelle importance ? C’est grand-père qui tenait à ces choses. Sans lui, elles ne sont plus… rien.
Albus jeta à son frère un regard étrange, mais il ne sut pas quoi répondre. Rose se releva, et frotta la cendre de ses genoux.
— Je suis certaine que ton père ne les jettera pas, dit-elle d’une voix apaisante. Grand-père a passé des années à collectionner ces affaires. Elles sont ce qui nous reste de lui. Oncle Harry trouvera bien une place où les garder.
— Personne n’a trouvé de place pour le Terrier, répondit Albus. Maintenant, la maison est vide. Bientôt, elle sera démolie.
Une fois encore, personne ne trouva quoi répondre à ça. Peu de temps après, Albus annonça aux deux autres qu’il redescendait dans les sous-sols Serpentard. Et qu’il les verrait le lendemain.
Dès qu’il fut parti, Rose se tourna vers James, les yeux étincelants.
— Ta poupée vaudou a disparu, dit-elle. Tu crois que c’est sérieux ?
— Tu as entendu papa. Il a dit que tout irait bien. Il a dit que les poupées vaudous ne marchaient pas vraiment comment on le raconte dans les films moldus. Je ne pense pas que quelqu’un puisse m’arracher les bras ou me forcer à faire des choses que je ne veux pas faire.
— Le vaudou est un art magique très secret, dit Rose en secouant la tête. Et Mme Delacroix est l’une des meilleures sorcières vaudous qui existent. Tu ne sais pas ce que cette poupée est capable de faire ou pas, et ton père non plus. Pas vraiment. Je crois qu’il faut être prudent avec ces choses-là.
— Et qu’est-ce que tu veux que je fasse, Rose ? Je ne peux pas retrouver cette saleté par magie. Elle a dû tomber derrière le lit dans la chambre de mes parents.
— Si j’étais toi, je ne courais aucun risque, dit Rose gravement. Pas avant d’être certain que cette poupée soit inoffensive.
— Quand tu en parles, on la dirait vivante, dit James, avec un sourire nerveux.
Sa cousine se contenta de mettre les poings sur les hanches en penchant la tête, comme pour dire : « Et pourquoi pas ? »
— Je vais me renseigner, dit tout à coup une voix derrière Rose.
Surpris, les deux cousins firent un bond d’un mètre. Rose pivota, la main sur le cœur.
— Zane Walker ! cria-t-elle. Arrête de faire ça ! Tu vas me faire mourir de peur.
— Désolé, répondit Zane. Mais c’est difficile de frapper avec les mains d’un Doppelgänger. Je passe à travers les choses.
James se tourna vers le canapé pour faire face à la silhouette transparente de son ami.
— Hey, Zane, joyeux Noël ! Tu as besoin d’une recharge ?
— Oui, si ça ne te fait rien. J’ai réussi à passer par moi-même, je ne veux pas que quelqu’un d’autre m’écoute.
James sortit sa baguette et envoya un Maléfice Cuisant. Le Doppelgänger devint immédiatement plus solide. Rose, un peu énervée, se laissa retomber sur le canapé.
— Alors ? Tante Ginny nous a dit que tu étais passé au Terrier, dit-elle. Qu’y a-t-il de tellement pour que tu interrompes notre jour de Noël ?
— Je m’inquiète pour vous, dit Zane, le visage sérieux. Je voulais vous avertir, mais quand j’ai su que vous restiez à l’école, j’ai compris que tout irait bien. Vous êtes en sécurité. Du moins, pour le moment.
James fronça les sourcils.
— Mais de quoi tu parles ? Pourquoi ne serions-nous pas en sécurité au Terrier ? Enfin, bien sûr, tout est relatif, avec le Gardien des Portes qui est libéré sur la terre.
Le visage de Zane devint livide.
— Tu te rappelles ce qui s’est passé dans la grange, il y a une quinzaine de jours ? Rose, tu m’as raconté comment, il y a mille ans Merlin avait été piégé par cet humain, Hadyne. Il avait promis à Merlin de lui rendre sa fiancée si ses terres doublaient de surface et son château était fortifié avec des sortilèges si puissants que même Merlin ne pourrait jamais attaquer quelqu’un à l’intérieur.
— Oui, dit James, en haussant les épaules. Et alors ?
— Alors, Merlin sait que quelqu’un est entré dans son bureau il y a quelques semaines. Il sait que cet intrus est passé dans son miroir magique, et qu’il a certainement découvert à son sujet des choses pas tellement agréables. James, Merlin sait probablement que c’est toi. Tu ne t’es jamais demandé pourquoi il ne t’avait posé aucune question à ce sujet ?
— Eh bien, répondit James lentement, comme tu l’as dit l’autre jour dans la grange, si Merlin était mauvais, il nous serait déjà tombé dessus. Le fait qu’il ne l’ait pas fait signifie bien qu’il est du bon côté malgré les apparences. Il doit savoir que nous le sommes aussi. Peut-être qu’il nous laisse faire pour qu’on l’aide à combattre le Gardien maudit.
Tout en parlant, James sentait bien que ses paroles ne rendaient pas un écho très vraisemblable. Au fond, il n’y croyait pas, mais il n’arrivait pas à trouver d’autre raison pour que Merlin ne les ait pas encore enguirlandés.
Zane secoua la tête.
— Oui, c’est aussi ce que je croyais au début. Mais ensuite, j’ai repensé à cette conversation entre Merlin et Serpentard que tu as entendue quand tu étais enfermé dans le laboratoire. Tu dis qu’ils parlaient du marché que Hadyne avait extorqué à Merlin. Il est évident que le château de Poudlard est précisément celui de Hadyne. Et vous ne voyez pas ce que ça veut dire ?
Les yeux de Rose s’écarquillèrent.
— Ça veut dire que Poudlard est le château que Merlin a protégé. C’est pour ça qu’il ne peut pas être découvert de l’extérieur. Ça explique que même Voldemort et son armée aient mis si longtemps à entrer durant la bataille. Les protections de Merlin sont toujours en place, mais après un millier d’années, elles ont dû s’affaiblir.
— Ça explique aussi pourquoi les entrées secrètes n’arrêtent pas de se rouvrir, dit James, émerveillé. Comme celle qui est sous le Saule Cogneur. D’ailleurs, le château guérit tout seul quand il est abîmé. Les fortifications magiques de Merlin fonctionnent encore après tous ces siècles. Et même les parties qui ont été construites depuis semblent s’imbiber de sa magie. C’est incroyable !
Mais Zane secouait toujours la tête aussi sombrement.
— Vous ne comprenez pas le plus important. Nous avons pensé que Merlin ne vous attaquait pas parce qu’il était du même côté que vous, ou qu’il vous laissait faire pour une raison quelconque. Nous avons présumé qu’il ne disait rien parce qu’il était bon. Mais nous avons oublié la plus intéressante partie du marché que Hadyne avait fait avec Merlin.
Tout à coup, Rose comprit. Elle poussa un cri, et mit la main sur sa bouche. Et James sentit ses yeux s’écarquiller parce qu’il se rappelait. C’était évident, depuis le début. Et Serpentard l’avait répété, dans son bureau, il y a un millier d’années : « Vous ne pouvez pas toucher un cheveu de quiconque réside dans ce château. Vos menaces sont formidables, mais elles sont malheureusement sans effet… »
— Il ne peut s’attaquer à personne dans l’enceinte du château, chuchota James. Oui, bien sûr, c’est une des conditions du marché. Hadyne savait très bien que Merlin essaierait de se venger. Et c’est pourquoi Merlin a dû attendre que Hadyne sorte de son château, et parte dans son carrosse, avant de l’attaquer.
James regarda Rose. Sa cousine avait toujours la main sur la bouche, et son visage était livide.
— À mon avis, dit Zane en les regardant l’un après l’autre, il serait bien plus prudent pour votre santé qu’aucun de vous deux ne sorte du château pendant un certain temps.
La première pensée de James fut pour Ralph, qui était parti pour les vacances et qui les passait avec son père dans un appartement à Londres. Mais Zane leur indiqua être déjà passé voir Ralph, pour l’avertir de garder sa baguette à portée de la main, et de ne jamais se trouver seul.
— Il n’est pas content du tout, expliqua Zane. Il ne cesse de répéter que sa baguette est un morceau du bâton de Merlin. Il prétend que jamais elle ne voudra agir contre Merlin si ça devient nécessaire. Peut-être a-t-il raison, mais je ne pouvais pas le lui dire.
— Non, c’est sa baguette à présent, insista Rose. Ralph l’a gagnée. Elle fera ce qu’il lui demande de faire.
Zane n’en était pas tellement certain.
— La magie de Merlin est très ancienne, Rose. Et puis, Ralph n’a pas vaincu Merlin, donc il n’a pas réellement gagné sa baguette. Le bâton originel a juste été cassé en deux, et Ralph en a récupéré un morceau. La baguette se souvient sans doute d’avoir jadis fait partie d’un tout, et elle sait que Merlin a été son maître. Tu as peut-être raison, mais comment savoir si la règle d’une baguette normale s’applique aussi à un morceau de bâton magique ?
— Tu as raison, dit James, n’en parle surtout pas à Ralph ! Il est déjà assez nerveux comme ça. Et il ne pourra jamais savoir la vérité avant de combattre. Il vaut mieux qu’il croie que sa baguette lui appartient entièrement, ça l’aidera peut-être à ce que ce soit vrai.
— En attendant, dit Zane avec un hochement de tête, puisque tu as perdu ta poupée vaudou, je vais vérifier ce que devient Mme Delacroix. Peut-être qu’elle me dira quoi faire ? Après tout, c’est elle qui l’a fabriquée.
— Tu peux aller lui parler ? s’étonna Rose.
— Bien sûr, elle est ici même au campus, à l’étage psychiatrique de l’Institut Médical Poe. Ils la gardent sous clé, mais elle a droit aux visites. Après son expérience dans la Caverne du Secret, elle est à moitié gaga, mais je suis certain qu’elle se souvient de moi. (Zane eut un sourire presque démoniaque.) Et de mon rondin de bois.
— J’espère que tu n’auras pas à en venir là, dit Rose, en secouant la tête, mais ça peut l’aider peut-être à te parler. Après tout, c’est l’un de tes présidents qui a dit : « Il faut parler calmement tout en tenant un gros bâton »[5].
— Oui, approuva Zane, et les gros bâtons sont ma spécialité.
Sur ce, l’Américain souhaita à James et Rose une bonne nuit et un joyeux Noël. Il devait lui-même se rendre à une fête du réveillon, puisqu’il était bien plus tôt en Amérique. Il se lança dans une chanson de Noël paillarde, et disparut au beau milieu du premier couplet.
Les deux cousins se séparèrent, remontant chacun dans leur dortoir. Pour la première fois, James réalisa avoir le dortoir des « seconde année » pour lui tout seul pendant les vacances, et il s’en inquiéta. Si Zane avait raison, Merlin ne pouvait rien lui faire dans l’enceinte de Poudlard, mais la seule idée que l’enchanteur lui veuille du mal – ainsi qu’à Rose ou à Ralph – était plutôt terrifiante. C’était une chose d’avoir le Gardien maudit en lointaine entité, menaçante certes, mais sans rien de personnel. C’était tout à fait différent d’avoir un ennemi spécifique vivant sous le même toit, surtout en sachant qu’il s’agissait du plus puissant enchanteur que la terre ait jamais connu. Heureusement, après les activités dans la neige de la journée, le stress de ses conversations avec Petra, ses parents, et Zane, James était tellement fatigué qu’aucun souci n’aurait pu le maintenir éveillé. De plus, il avait la sensation que Cédric veillait sur lui. Si Merlin venait, le fantôme trouverait un moyen de le réveiller, ou du moins de le prévenir. Sur cette réflexion, James s’endormit profondément.
À nouveau, il eut ce rêve, plus clair que jamais.
Il vit apparaître les lames brillantes des épées, entendit le grincement de l’ancien mécanisme. Il vit l’eau profonde dans la piscine de pierre, et les visages d’un jeune homme et d’une femme, si tristes, sous la surface. Pire que tout, il y avait la voix insinuante de la silhouette dans la pénombre, qui tentait, promettait, et donnait des instructions. Son rêve était envahi d’un sentiment de tristesse intense, mais il y avait aussi une colère de plus en plus violente, aussi acérée qu’un coutelas : une rage froide qui montait, plus vaste que le ciel, plus profonde que l’océan. Et pour la première fois, James vit la personne à ses côtés se refléter dans le l’eau sombre, il aperçut un visage. Il ne savait pas où se situait cette eau profonde, ni cet endroit secret sous la terre, mais il eut l’intuition soudaine de la personnalité de cette âme tourmentée. Il vit de longs cheveux noirs, des yeux perçants aussi brûlants que des braises, à la fois durs et animés d’un feu qui détruirait tout sur son passage.
— Vous avez pleuré, crié, menacé, dit la voix de l’ombre, douce et démoniaque. Vous avez hésité, mais dorénavant, vous devez accomplir cet acte ultime pour devenir réellement digne de votre destin. Vous devez faire un sacrifice si important qu’il n’y aura plus aucun retour en arrière possible. Vous devez prendre ce qu’on vous a volé. Ce sera un passage difficile et douloureux, vous êtes capable de vous y lancer. C’est le prix de l’équilibre. Vous devez volontairement avancer sur ce chemin pour tous ceux qui attendent la justice. Pour ce sacrifice, votre mémoire sera honorée ; vos prouesses chantées ; votre vie deviendra une légende. À travers ce souvenir, vous vivrez éternellement, quel que soit le sort de vos restes mortels. Après vos épreuves, la justice émergera. Et ceux qui ont été perdus vous seront rendus. Le prix du sang sera payé, de la seule façon possible, par le sang versé. C’est votre devoir, vous devez l’honorer.
— Je dois l’honorer, répondit la silhouette aux cheveux noirs, d’une voix calme et glacée.
Une larme coula sur sa joue, et heurta la surface de l’eau où elle se transforma en vapeur brûlante.
James dormait toujours.
Au matin, il se souvenait à peine de son rêve, mais sa cicatrice fantôme le brûlait férocement. James se demanda pourquoi, sachant qu’il s’agissait d’un présage qu’il n’arrivait pas à comprendre. Il descendit jusqu’à la Grande Salle pour le petit déjeuner, et lorsqu’il y entra, sa douleur avait disparu. Albus et Rose étaient assis à la table de Gryffondor, avec Hugo et Petra, et tous étaient engagés dans une conversation animée. James se joignit à eux avec un sourire heureux.
À la fin du repas, il avait complètement oublié son rêve.